NAISSANCE DE
PIERRE TOMBAL
Marc Hardy
Lorsque j'ai commencé Pierre Tombal, je sortais
d'une période de doutes et
de remise en question assez forte.
Je venais de vivre une année presqu'entière sans travail,
année qui en clôturait quatorze autres au cours
desquelles rien de ce que j'avais fait ne s'était, à mes
yeux, révélé réellement concluant. J'avais,
comme beaucoup d'auteurs de ma génération, à assumer
le lourd héritage graphique de certains grands anciens
ainsi que d'autres, beaucoup moins anciens.
Ils en étaient arrivés à un stade où leurs
dessins, magnifiquement surchargés,
étaient devenus de
superbes enluminures,
d'une grande complexité parfaitement maîtrisée.
Tout restait strictement lisible malgré
une forte surcharge de traits et d'éléments
Nous en étions réduits à une série
de cruels dilemmes :
- soit, essayer de pousser les choses plus loin encore, ce qui, dans
presque tous les cas, aboutissait à une impasse
- soit, être simple suiveur ou épigone
- soit, se replonger loin dans le passé
- soit, renier ces auteurs que j'admirais tant
Aucune de ces solutions ne me convenant, ayant mes racines profondément
ancrées dans mon enfance,
j'ai profité de cette année sabbatique forcée pour
travailler, énormément travailler
J'ai essayé, dans la mesure du possible, d'alléger, de
perdre tics et habitudes, de me défaire d'une partie
de ce poids énorme, sans le renier. Les premiers résultats
furent quelques planches que vous trouverez
dans les pages " Inédits " et qui donneront naissance
à Arkel.
Pour en revenir à Pierre Tombal, en 1983, la
rédaction travaillait sur une nouvelle formule du magazine
Spirou et désirait marquer le coup en y lançant un certain
nombre de nouvelles séries.
Cauvin et moi nous connaissions depuis de nombreuses années.
Lorsque nous avons accepté !'idée de travailler ensemble,
il m 'a demandé, pour nourrir son imagination,
de lui envoyer un maximum de dessins n'ayant servi à rien. Crobards
griffonnés sur un coin de table,
sur cartons de bière, gribouillis au téléphone
Je ne me souviens quoi lui avoir envoyé mais, de toute évidence,
il a su en tirer la substantifique moelle.
Depuis mon plus jeune âge, j'ai, en quasi-permanence, été
confronté à la mort et à l'idée même
de la mort.
Il ne pouvait mieux me proposer.
Nous ne croyions guère en la possibilité
de succès pour Pierre Tombal.
Le rédacteur en chef excepté, personne dans les éditions
n'y croyait.
Il faut dire, qu'à l'époque, tout ce qui touchait à
la mort était tabou.
Et quand un éditeur n'y croit pas !!! Néanmoins, tant
poussés par le temps que pour nous amuser,
nous avons lancé le personnage, en ne présumant guère
de sa longévité
L'avenir en a décidé
autrement.
Charles Dupuis étant violemment opposé
à cette série, nous l'avons démarrée dans
un registre assez doux,
nombres de gags du premier album se déroulant dans un cimetière
pour animaux.
Très vite, l'enthousiasme des lecteurs aidant, nous nous sommes
complètement abandonnés.
Nous nous sommes toujours, en parfait accord, entendus
pour éviter le registre " Gore ",
et pour traiter le sujet avec un maximum de tendresse.
Nous avons eu trop à souffrir de la mort pour ne pas respecter
ceux qui y sont confrontés.
Nous ne voulons rien à offrir d'autre à nos lecteurs que
le plaisir d'un gigantesque pied de nez
envers à la terrible Dame.
Quoi de meilleur, dans une société qui prône l'éternelle
jeunesse comme unique alternative,
que mettre la Camarde en exergue et de lui faire notre plus belle grimace.
Elle nous possédera un jour, mais nous la possédons depuis
plus de vingt ans, la sale et tendre Garce !
Pierre Tombal est une série qui, comme la vie,
avance, bouge, évolue.
Au début, étaient un fossoyeur, un cimetière, ses
pensionnaires. Puis, vint la Mort. Plus pathétique que méchant,
ce personnage n'aime pas trop son boulot, ne s'estime responsable de
rien,
ne faisant que suivre les ordres d''en Haut".
Alors, apparut la Vie.
Gamine joyeuse, sautillante, tout en couleurs, elle suit partout la
Mort, semant sur ses traces des graines de vie;
sitôt morte, toute chose renaît.
Ce qui a le don d'épuiser et d'énerver prodigieusement
la Mort, l'obligeant à recommencer sans cesse son travail. Dur,
dur, quand on est une vieille dame âgée de 60.000... 600.000...
6.000.000?... 60.000.000 d'années?...
Bref, d'un nombre incalculable d'années et qu'on n'aspire plus
qu'à une retraite bien méritée.
La Vie, la Mort... Restait l'amour.
Notre personnage se sent seul dans son cimetière.
Il désire ardemment rencontrer l'âme soeur avec laquelle
partager toutes ses joies, ses peines, son quotidien.
Pas facile quand on est fossoyeur! Vous imaginez-vous vivre nuit et
jour, jour et nuit, dans un cimetière,
entourée de tous ses pensionnaires, d'être en permanence
entre la Vie et la Mort?
Pauvre fossoyeur! Réussira-t-il à trouver l'élue
de son coeur?
Raoul Cauvin
Ben...que puis je ajouter?
Ce que Marc dit est tout à fait vrai.
J'ai choisi le personnage en fonction des dessins qu'il m'avait envoyés.
Au début j'avais un peu peur de la réaction
du public, eh ben non.
Ca roule...Tant mieux pour nous. |